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Les Quatre Nobles Vérités

Conférence de Chépa Dorjé Rinpoché à Paris le 30 mars 2003

Aujourd’hui l’enseignement porte sur les Quatre nobles vérités ; nous pouvons aussi les appeler les Quatre sceaux, ceux que le Bouddha Shakyamouni aurait apposés sur ces paroles ; ou encore les Quatre paroles qui réunissent ces vérités. L’origine de cela, il ya l’ascèse que le Bouddha a effectuée durant six années pendant lesquelles il est resté en absorption méditative. À l’issue de ces six années d’ascèse, il a proféré ces Quatre nobles vérités résumées par ces quatre vers :

 Tout ce qui est composé est impermanent.

 Tout ce qui se termine, tout ce qui s’épuise est souffrance.

 L’ensemble de tous les phénomènes est vide.

 L’état d’au-delà de la souffrance est paix.

Tout ce qui est composé est impermanent

La première phrase signifie que tout ce qui est composé n’est pas naturel, mais fabriqué ou mensonger ; à partir du moment où nous n’avons pas la compréhension de la nature de notre esprit et de la nature des phénomènes, ceux-ci deviennent non naturels. Ainsi tout ce qui compose notre monde est fabriqué ; nous pouvons nous en rendre compte aisément : les vêtements, les chaises, les tables, tous les objets qui m’entourent sont fabriqués ; et par qui ?

De manière naturelle, par notre esprit : c’est par la pensée que nous avons eu dans notre esprit que nous avons fabriqué ces choses ; de même notre corps est fabriqué ; et si c’est fabriqué, c’est impermanent. Donc toute chose fabriquée est impermanente ; tout est amené à disparaître un jour ; rien n’a de réalité intrinsèque, y compris notre corps. Nous savons bien que ces choses vont en dernier ressort se terminer mais nous pensons qu’elles sont véritables et dotées de qualités intrinsèques. Même si nous le savons, nous croyons qu’elles vont durer de manière permanente, de même, nous croyons que notre corps va durer éternellement. Ce premier point est donc avéré : les choses vont un jour s’épuiser, tout ce qui est composé va un jour disparaître.

Saisir quelque chose alors que cela n’a pas de réalité intrinsèque, c’est tourner le dos à cette vérité. C’est ce que nous appelons la roue, le cycle de l’existence. Cette saisie peut durer à l’infini. Un pratiquant va développer la compréhension de la non réalité, de l’impermanence de toutes choses, va s’entraîner à approfondir cette compréhension. Dans la pratique, que nous méditions ou que nous ne méditions pas, nous fabriquons, et ce jusqu’à ce que nous obtenions la compréhension de cette vérité. Pour résumer, « esprit » équivaut à « saisie » quand il n’y a pas cette compréhension. Nous fabriquons quelque chose qui, par nature, n’est pas fabriqué ; soit nous avons de la saisie sur quelque chose qui n’est pas fabriqué.

Tout ce qui s’épuise est souffrance

Tout ce qui est fabriqué à une fin et s’épuise. Quel qu’en ait pu être le développement, au bout du compte, toute chose fabriquée va s’épuiser. Si nous pensons que ce que nous avons fabriqué est réel et va durer, quand çà disparait, c’est cause de souffrance. Il nous est difficile, quand cela arrive, de voir cette réalité. Pour prendre un exemple, si nous prenons un chemin erroné, au moment où nous comprenons que nous nous sommes trompés de chemin, il nous est difficile d’en sortir, n’est-ce pas ? Ou bien encore, quand l’amour que nous portons à un être prend fin, cela nous fait souffrir : donc dire que tout ce qui est fabriqué est souffrance, est bien une vérité.

Nous pouvons dire ainsi que le cycle de l’existence apporte de la souffrance, dans la mesure où, comme nous venons de le voir, tout ce qui le compose a une fin. Notre propre corps vieillit de jour en jour, puis finit par disparaître. Comme nous pensons qu’il va durer éternellement, quand l’esprit et le corps se séparent, il y a souffrance. Nous devons donc le comprendre pour comprendre cette vérité : tout ce qui est fabriqué s’épuise. Sans cette compréhension, nous tournons sans fin dans cette saisie des choses, pour nous permanentes. La graine des tendances habituelles va avoir pour résultat que nous saisirons continuellement les choses du samsara.

En résumé, la saisie est souffrance. Actuellement, nous ne pouvons pas ne pas saisir : tant que nous saisissons nous fabriquons. Ainsi, nous n’obtenons pas le bonheur que nous désirons car ce que nous accomplissons n’est pas source de ce bonheur. Du point de vue des bouddhas et bodhisattvas, nous sommes semblables à des enfants : l’adulte qui regarde un enfant jouer, s’amuser pour avoir du plaisir puis se mettre à pleurer, considère bien cela comme un jeu d’enfant, alors que pour l’enfant cela a un grand sens. De même, les choses que nous fabriquons, nous y attachons beaucoup d’importance. Mais comme tout, elles parviennent, un jour ou l’autre, à épuisement et elles n’ont pas le grand sens que nous leur donnons.

La nature des phénomènes est vacuité

Quand nous ne reconnaissons pas la nature de notre esprit, c’est le fait de la saisie du « Je » Par exemple ce que nous appelons « mon corps », est en fait un composé des cinq agrégats. Dès que nous le saisissons, cela apporte de la souffrance ; c’est pourquoi le Bouddha a dit : « Ne saisissez pas ce je qui n’est pas votre propriété, sinon de la souffrance apparaît. Qu’entend-on par « ne pas saisir » ? Cherchez ce « Je »… Vous ne pourrez pas le trouver. Ce corps que vous dites être le vôtre est composé des quatre éléments qui, à la fin de cette vie, se résorberont.

Si nous cherchons ce « Je », est-il dans les yeux, dans le cerveau, dans une autre partie du corps ? S’il n’est nulle part, on peut dire qu’il n’existe pas. Ainsi tous les phénomènes n’ont pas d’existence en soi, et si nous leur en accordons une, nous les saisissons. C’est précisément le fait d’accorder une existence aux phénomènes qui nous fait errer dans le cycle des existences. Les bouddhas et les bodhisattvas ont réalisé la non-existence des phénomènes, c’est pourquoi on dit qu’ils sont au-delà de la souffrance. Les grands pratiquants, de par cette réalisation, ressentent une souffrance beaucoup moins grande que nous. Ils ont compris que tout ce qui est fabriqué est impermanent donc sans existence en soi.

Ainsi les deux dernières phrases correspondent à un état non-fabriqué, et on peut résumer ces quatre vérités en deux vérités, la vérité relative et la vérité ultime :

La vérité relative, la première, concerne tout ce que nous fabriquons. Elle est vérité car c’est sur le support de celle-ci que nous pouvons réaliser la deuxième vérité, la vérité ultime. De même que la chaleur qui nous réchauffe quand nous avons froid est produite sur le support du feu, la vérité ultime est obtenue sur le support de la vérité relative.

Pour prendre un autre exemple, quand nous avons faim, nous devons préparer un repas avant de pouvoir manger. Mais quand nous mangeons, nous développons un plaisir. Ce plaisir est une fabrication qui s’ajoute à la nourriture, seule nécessaire à la vie. Nous saisissons le plaisir vis-à-vis d’un objet ou de la nourriture, mais quand sa nature se fait jour, à savoir l’impermanence, la souffrance apparaît, et la nourriture se transforme en poison.

Donc la vérité relative est importante en tant que support de la vérité ultime ; en fait, on ne peut pas les différencier. Nous avons besoin de ce qui est composé en ce monde, pour pouvoir aller au-delà. Ce qui est composé devient notre maître, puisque son épuisement est un enseignement pour nous. Ainsi on peut, par l’impermanence, reconnaître la vérité ultime.

L’état d’au-delà de la souffrance est paix

Qui n’a pas soi-même, l’expérience de la souffrance, ne peut reconnaître celle du samsara (ou s’il n’en a qu’une petite expérience, il ne pourra pas comprendre une plus grande souffrance). Ce qui signifie que la souffrance a une qualité, celle d’être le support d’une expérience : celui qui a cette expérience, qui est doté de l’intelligence éveillée, n’accomplira plus d’actes générateurs de souffrance. L’inverse se produit pour qui ne connaît pas cette souffrance. Celui-ci ne pourra donc pas réaliser la vérité ultime. Tous les phénomènes sont vides : c’est l’esprit qui les crée. La nature même de cet esprit est vacuité. Comprenant cela, on atteint cet état de paix qui est au-delà de la souffrance.

D’un point de vue plus « mondain », s’il n’y avait pas cette notion de moi et de vous, il n’y aurait pas de querelles dans le monde, mais au contraire la paix. Dans les kalpas précédents, la saisie de l’égo était beaucoup moins grande. Alors qu’actuellement, nous pensons uniquement à notre bien-être et force est de constater que dans notre monde, la paix n’est pas présente. Dans une famille, le manque d’harmonie naît de trop d’individualisme, et le mal-être, de la saisie et de la jalousie. Une fois de plus, la cause de tout cela est la non-compréhension de l’impermanence. Cela dit, même si nous n’avons pas réalisé cet état, nous pouvons en avoir une idée : si nous nous rendons dans un endroit calme et solitaire, nous goûtons une certaine paix. Si nous pouvons reconnaître la paix d’un lieu exempt de toutes les émotions perturbatrices, nous aurons un bonheur dont nous ne pouvons pas avoir idée.

Qu’est ce que nous ne comprenons pas alors ? Nous comprenons que tout ce qui est composé est impermanent. Mais nous ne comprenons pas que tous les phénomènes s’épuisent, et la saisie que nous avons sur cela nous apporte de la souffrance au lieu du contentement. Le contentement n’est accompagné d’aucun jugement. Dans la mesure où nous comprenons que les phénomènes s’épuisent, et que l’autre a ce qu’il a parce que cela ne s’est pas épuisé et que pour nous cela s’est épuisé, nous pouvons être dans le contentement.

Actuellement nous éprouvons le besoin de choses inutiles et cela nous empêche d’obtenir le bonheur. A cause du non-contentement, du souhait de possessions toujours plus grandes, d’une intelligence toujours plus développée, notre désir n’est jamais rassasié. Or, quels que soient les progrès matériels, la souffrance des êtres existe toujours. Au Tibet, en tout cas quand j’y étais, il n’y avait ni voitures ni trains ni télé, etc.… mais comme moyens de transport, des yaks et des chevaux, donc d’autres êtres vivants, d’autres êtres sensibles et pas de difficultés. Alors qu’en Occident, ce que nous utilisons n’a pas d’esprit, par exemple la télé : elle ne se fatigue pas jamais. Utiliser quelque chose sans esprit alors que nous en avons un est source de toutes sortes de difficultés. Comme nous ne pouvons accomplir ce que cette chose accomplit, nous développons les objets de plus en plus, et ainsi nous produisons de plus en plus de pensées discursives donc de souffrance.

Le Bouddha Shākyamuni a dit que par le contentement, nous pouvions obtenir le bonheur. L’état d’au-delà de la souffrance, comme son nom l’indique, ne comporte plus la moindre souffrance.

Le pratiquant qui développe les qualités de son esprit, plus il va développer cette sagesse, plus il va reconnaître que tout ce qui est composé est souffrance. Il aura aussi la reconnaissance de celui qui expérimente la souffrance ou le bonheur. En obtenant la maîtrise de son esprit, il sera dans le bien-être et la paix qui est au-delà de la souffrance.

Questions-Réponses

 Q.- Je ne connais pas bien le bouddhisme, mais d’après le premier point, l’homme est condamné à souffrir, souffrance qu’on peut atténuer par certaines pratiques, activités… ?

 R.- La nature même de l’homme n’est pas de souffrir, mais quand nous fabriquons, il y a souffrance.

 Q.- Mais un film que je regarde par exemple, puisqu’il a été fabriqué, il ne peut pas m’apporter du bonheur ?

 R.- Il est difficile pour nous de comprendre cela. L’esprit est paisible mais sur le support de la circonstance extérieure, la souffrance apparaît. C’est parce que nous saisissons cette circonstance extérieure que surgit la souffrance. Celui qui reconnaît cette saisie, reconnaît la souffrance des autres êtres, mais n’expérimente pas lui-même cette souffrance.

 Q.- J’aurais une critique à formuler. Vous parlez beaucoup de philosophie, mais quelle est la place de ce qu’on ressent dans le cœur. ?

 R.- La philosophie aide à développer l’intelligence éveillée. On peut développer aussi des émotions perturbatrices. L’enseignement d’aujourd’hui ne porte pas sur la philosophie mais sur le sens même des choses. La philosophie ne donne pas le sens profond des choses. Certains êtres, aux capacités supérieures, pourront par le débat philosophique, réaliser ce sens profond, mais ces êtres sont rares. A l’origine, la philosophie servait à éclaircir les doutes, mais elle a pu être pervertie en une formulation individualiste et orgueilleuse des choses, et faire développer de la suffisance. Le sens profond n’en est pas celui-là.

 Q.- L’amour entre un homme et une femme était inventé, créé, avez vous dit, mais il y a maints contre-exemples dans la société. Qu’en est-il alors ?

 R.- On peut effectivement connaître un amour non-fabriqué. Dans ce cas cet amour est ressenti vis-à-vis de l’ensemble des êtres, on le nomme alors le grand amour. Il est sans fabrication et inépuisable.


Il est possible, du fait du passage de la traduction orale à la transcription écrite, que l’enseignement ne soit pas tout à fait complet ou exactement conforme à l’original tibétain.