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Enseignement

Le bardo du rêve - 1/11

Chépa Dorjé Rinpoché - Paris, le 19 mars 2001

La motivation préalable à l’écoute de l’enseignement est de penser qu’afin d’établir l’infinité des êtres – en nombre aussi vaste que vaste est l’espace – en l’état de bouddhas, nous allons procéder à l’écoute de cet enseignement sur les Bardos (états intermédiaires).

Le Dharma, c’est l’ensemble des méthodes qui permettent d’éradiquer tous les facteurs perturbateurs ou kleshas. Si, par l’écoute de l’enseignement, plutôt que de dissiper, d’affaiblir, d’éliminer progressivement tous les kleshas, il s’avérait qu’ils ne faisaient que croître, c’est que notre étude, notre écoute du Dharma, de la Voie Spirituelle ne serait pas correcte. De toute façon, que nous soyons bouddhistes ou non, que nous prétendions être bouddhistes, que nous adhérions ou pas à un autre système spirituel ou philosophique, finalement, quel est l’intérêt d’écouter l’enseignement si ce n’est de progressivement s’engager dans l’affaiblissement puis l’éradication totale et définitive de tous les kleshas, ces poisons de l’esprit ?

Notre esprit est un peu semblable aux giboulées de printemps. Très vite il peut s’assombrir, être parcouru de pensées négatives, être affaibli, attristé, soumis aux facteurs perturbateurs. A d’autres moments, à la faveur d’autres circonstances tout à fait provisoires, il peut au contraire connaître un certain répit, une certaine paix, un certain bonheur, une certaine aise : le bonheur apparaît à certains moments et disparaît à d’autres moments pour laisser place à la souffrance. Telle est notre situation actuelle, pareille à certaines saisons où nous voyons très vite succéder un peu de soleil, un peu de pluie et ainsi de suite.

Si nous n’avons aucun contrôle sur cela, aucune liberté par rapport à ces phénomènes, c’est que notre esprit est soumis aux poisons de l’esprit, c’est-à-dire aux facteurs perturbateurs, les kleshas. C’est parce qu’ils sont présents et qu’ils nous dominent en quelque sorte, que nous ne pouvons pas avoir une quelconque maîtrise sur ces états de conscience d’esprit soit positif, soit négatif.

Donc, ce à quoi il faudrait arriver, c’est à une certaine égalité d’esprit, un état d’esprit qui désormais ne serait plus soumis à des fluctuations brusques et soudaines comme ces nuages dans le ciel. Et pour accéder à de telles méthodes, il faut s’en référer à un guide spirituel. C’est lui-même qui arrivera à instruire le disciple en les méthodes qui permettent d’arriver à une certaine stabilité ou pacification de l’esprit. Et c’est en s’appliquant à pratiquer ce qui lui aura été enseigné que le disciple pourra obtenir un tel fruit.

Nous pouvons dire que, de par le monde, dans notre univers, il existe beaucoup de sortes de maîtres, des maîtres bouddhistes, des maîtres non bouddhistes, des maîtres dans toute sorte de disciplines. Quel est le but des enseignements que prodiguent tous ces maîtres si ce n’est d’arriver à établir dans notre esprit une certaine sérénité ? Si nous les suivons, si nous appliquons correctement leurs instructions –lorsque bien sûr elles sont valables – nous atteindrons un tel but.

De par le passé des maîtres ont pu appliquer, expérimenter de telles instructions, en obtenir le fruit et finalement les transcrire pour en faire des textes auxquels nous pouvons nous référer aujourd’hui.

Le Bardo du Rêve

Dans cette étude des Six Bardos ou états intermédiaires, nous en sommes au Bardo du Rêve.

Le rêve, c’est à proprement parler l’illusion, l’erreur, la méprise. En fait, nous n’avons pas de liberté par rapport à l’état de rêve, il arrive sans que nous puissions le contrôler. Il vient, il apparaît, même si nous ne voulons pas. Et, de même, nous en sortons sans contrôle non plus. Pour obtenir la maîtrise de ce Bardo du Rêve, de cet état intermédiaire, il faut apprendre les méthodes adéquates.

D’abord assimiler le Bardo naturel de cette vie cette pour comprendre le Bardo du Rêve
Si nous arrivons à bien assimiler ce qu’est ce Bardo naturel de cette vie, il sera tout à fait possible d’assimiler aussi ce qu’est la nature du Bardo du Rêve.

Il y a 3 étapes :

1. la reconnaissance de ce qu’est le Bardo du Rêve.

2. la transformation du Bardo du Rêve,

3. la dernière étape.

Aujourd’hui, nous allons parler de la première étape.

Actuellement, quand nous sommes dans l’état de Rêve, nous n’avons pas conscience que nous rêvons, nous sommes un peu comme illusionnés, trompés par cet état et nous ne savons pas que nous rêvons. Il convient préalablement d’identifier que notre esprit se trouve en état de rêve.

Nous avons bien dit que pour comprendre ce que constituait le Bardo du Rêve, il fallait avoir préalablement bien assimilé la nature véritable du Bardo naturel de cette vie. Or si nous comprenons que cet état du Bardo de cette vie n’est en lui-même qu’une fabrication mentale, quelque chose qui n’a pas de fondement véritable, intrinsèque, nous arriverons encore plus facilement à identifier le Bardo du Rêve comme étant de cette nature illusoire aussi.

Si par notre pratique nous arrivons à voir que notre expérience du monde est semblable à l’état de rêve, nous percevrons encore plus facilement l’état de rêve pour ce qu’il est, et n’en serons plus dupes.

Si nous arrivons à bien comprendre par la pratique cette véritable nature, viendra infailliblement le moment où cela deviendra une évidence pour nous. La bonne compréhension du Bardo naturel de cette vie fera percevoir que tous les domaines de l’existence conditionnée, tous les domaines du monde, du périssable, de l’éphémère, sont semblables à un rêve, une illusion. Sur cette base-là, nous pourrons encore plus facilement comprendre que toutes les apparences, y compris celle du rêve, sont trompeuses. Dès lors qu’une telle compréhension naît en notre esprit, si nous arrivons à la saisir, s’y appliquer, la répéter, la reproduire, elle deviendra en quelque sorte quasi automatique.

Par exemple, ce soir nous sommes réunis dans cette pièce. Vous, vous êtes là, vous écoutez, moi j’enseigne, et le traducteur traduit. Si nous arrivions à percevoir que même cette situation présente est un peu comme un rêve, comme quelque chose qui n’a pas d’essence très concrète, tangible, puis, que les perceptions du jour et celles de la nuit sont de même nature, ce serait extrêmement bénéfique. Il n’y a aucune différence quant à la nature des perceptions que nous pourrions avoir dans l’état de veille –pendant la journée – et celles de la nuit.

Par assimilation, petit à petit, nous comprendrons notamment que la souffrance n’a pas de fondement, de nature véritable, fondamentalement établie. Actuellement nous faisons une forte expérience du bonheur et de la souffrance – et plus particulièrement, ce qui est plus dérangeant – de la souffrance, parce que nous saisissons fortement ces expériences. Nous leurs donnons un caractère véritable, intrinsèque. Si nous arrivons à en percevoir le caractère inessentiel, vide de substance, cette souffrance aura moins prise sur nous. Puis elle n’aura plus de prise sur nous ; nous en serons en quelque sorte délivrés.

Parfois nous avons des rêves agréables, d’autres fois des cauchemars. Mais les rêves agréables, nous ne les reconnaissons pas comme non établis fondamentalement, dénués de nature véritable, et donc comme …des rêves.

Quant aux expériences négatives ou déplaisantes, il pourrait se faire que certains d’entre nous et dans certaines occasions, nous ayons la conscience, alors même que nous rêvons, que les expériences n’ont pas de fondement et que nous arrivions à prendre de la distance par rapport à ces rêves qui pourraient susciter en nous de très grandes peurs. Il peut se faire, alors que même quand nous rêvons, que nous arrivions à nous distancier par rapport à l’expérience et à la prendre comme quelque chose qui n’a pas de fondement. Cela est quelque chose de bien que nous devons cultiver et renforcer encore. Si lors d’un d’un cauchemar effrayant nous arrivons à avoir un éclair de lucidité et à nous dire qu’au fond, ce n’est qu’un rêve qui n’a pas de réalité, nous arriverons petit à petit à assimiler toute l’expérience de rêve et son contenu – positif ou négatif – comme étant illusoire. Nous nous dirons que ce n’est qu’un rêve et que nous n’avons pas de raison d’avoir peur. Cette attitude sera extrêmement fructueuse, bénéfique et utile lorsque nous serons confrontés au Bardo de la Dharmata et que s’élèveront en nous les visions des déités paisibles et courroucées. Arrivant à les percevoir pour ce qu’elles sont – des rêves, des illusions – nous ne serons en rien effrayés par les aspects paisibles ou extrêmement inquiétants qui pourraient s’élever dans notre esprit.

Il est dit qu’au Tibet de nombreux maîtres, de nombreux moines ont fait beaucoup de retraites au cours desquelles ils se sont entraînés à reconnaître la nature illusoire du Bardo du rêve et que, pour cela, ils se sont bien évidemment appuyés sur les instructions qui leur ont été données. Cela fait même l’objet de retraites intensives.

Comment se déroulent ces retraites au cours desquelles nous nous employons à reconnaître la nature illusoire du rêve et à le renvoyer à ce qu’il est, à son caractère non substantiel ? Quelles sont les méthodes utilisées ?

Au Tibet, il n’y a pas d’électricité : on s’éclaire à la bougie, des lampes à beurre. Avec sept lampes à beurre, nous avons assez de lumière pour faire ce que nous avons à faire. Avec seulement trois lampes à beurre, nous n’arrivons pas à dormir. Donc, il suffit de réduire la lumière pour qu’ensuite quelqu’un qui n’est pas entraîné, la nuit, s’endorme très rapidement. Au cours de ces retraites, le maître allume un nombre de lampes qui au départ, empêchent son disciple de dormir, et réduit ensuite la lumière de manière à ce que le disciple sans entraînement s’endorme. Et ce qui se passe immanquablement, c’est que la personne rêve. Au bout d’un certain temps, elle se réveille ou on la réveille, et on lui pose la question : « As-tu rêvé ? » - « Oui ! » - mais la personne n’a pas réussi au début à avoir la maîtrise de ce rêve. Elle n’a pas reconnu qu’elle rêvait et son maître lui dit qu’elle doit identifier le rêve pour ce qu’il est. Et ainsi de suite. Il y a tout un processus d’apprentissage où la personne se rendort et à nouveau on présente l’identification nécessaire : "A-t-elle eu lieu ou non ?". A nouveau l’instruction est donnée : au disciple de bien prendre conscience de la nature illusoire du rêve qui va se produire quand il va se rendormir.

Bien sûr les personnes qui auraient accepté de s’engager dans de telles pratiques – être réveillées à intervalle régulier – au début, sont contentes et adhèrent à l’expérience. Mais très vite, il se pourrait qu’elles se mettent en colère et qu’elles disent : « Arrêtez de me réveiller, laissez moi dormir ! » ; le but ne serait pas atteint. Si nous interrompons le rêve, il est probable qu’un certain nombre d’entre-nous ne seraient pas content au bout d’un certain temps… Je plaisante.

Si nous avons de la foi et de la dévotion, non seulement nous ne nous mettrons pas en colère, mais nous nous appliquerons aux instructions du maître. Sans une foi suffisante, la dévotion et le respect, il est à craindre que nous nous mettions en colère s’il nous empêche de dormir. La dévotion, la foi, le respect à l’égard du maître, la vénération, sont des qualités qui ne s’établissent pas facilement. Certaines personnes l’ont, certes, déjà un peu rapidement, facilement, mais pour d’autres il leur faut des raisons. Et il est préférable d’établir cette foi, cette dévotion sur la base de raisons et de connaître ces raisons pour lesquelles le maître est un être supérieur, vis-à-vis duquel nous devons nourrir un profond respect, une profonde dévotion. Il est certain qu’alors même que le maître vous réveille et que vous auriez aimé continuer à dormir, non seulement vous ne vous mettrez pas en colère, mais vous serez peut-être même content.

Cet entraînement doit être progressif et dépasser largement l’état de rêve pour permettre de comprendre qu’aucune activité n’a de fondement véritable, qu’elle est semblable à un rêve, sans nature intrinsèque. D’arriver à voir que lorsque nous allons, venons, nous nous asseyons, nous nous levons, mangeons, dormons, le jour, la nuit, tout ceci est de la même nature. Et progressivement, nous arriverons, par une perception de cette nature, à saisir que l’état de rêve est rêve, qu’on rêve et que ce n’est pas une réalité.

Finalement, il ne faut pas s’inquiéter. Si nous arrivons à identifier cet état de rêve pour ce qu’il est, au moment où nous rêvons, non comme quelque chose de véritablement établi, non comme une expérience de l’état de veille, mais vraiment comme un rêve et qu’il n’y a rien à craindre. Ensuite, dans la journée, quand nous nous engageons dans le travail qui permet de gagner notre vie, nous pourrons le voir de la même manière, ainsi que toute chose par la suite. Mais de toute façon, bien évidemment, il faut travailler, et si nous en venions à nous dire : « C’est un rêve, donc je ne travaille plus. » - ce serait embêtant. Nous ne pourrions plus manger. Pour vivre il faut bien travailler, il faut bien des sous ! Si nous étions au Tibet, c’est différent vous trouvez bien quelqu’un qui vous invite et vous donne de quoi manger, mais ici il n’en est pas de même.

Une bonne manière de faire serait de consacrer la moitié du temps à la pratique spirituelle et la moitié du temps au travail. Pendant la pratique, nous nous entraînerions à bien comprendre que toute expérience est de la nature du rêve, et pendant le travail, nous verrions que cette période là est de la même nature, semblable à un rêve. Et aussi, quand bien même vous gagneriez beaucoup d’argent à travailler, vous considèreriez cet argent de la nature du rêve, comme n’ayant pas de fondement. Il n’y a pas de quoi en faire une montagne.

Essayez maintenant d’avoir comme unique pensée que toute cette expérience présente est de la nature du rêve et n’a pas de réalité.