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Les dix actes non-vertueux

Enseignement de Chépa Dorjé Rinpoché, le 13 avril 2003

"Nous parlons continuellement de l’esprit d’éveil qui signifie avoir l’esprit tourné vers les autres êtres, avoir la pensée d’aider autrui que nous parlions, méditions ou pratiquions. Dans le Dharma, même si nous pratiquons pour nous-mêmes, la pratique doit être liée à notre vie quotidienne."

Ne pas utiliser notre pratique revient au même que ne pas pratiquer du tout : ce serait comme acheter un objet, le mettre chez soi sans jamais l’utiliser. Avoir une maison vide ou remplie d’objets, ce serait la même chose, puisque ces objets ne seraient jamais utilisés. Pour prendre un exemple tibétain, ce serait comme acheter un cheval excellent, bien le nourrir et ne pas l’utiliser ! À sa place on utiliserait tout le temps un mauvais cheval qu’on nourrirait mal. Procéder ainsi n’est pas une bonne chose. Pour ce qui nous concerne, nous pouvons avoir reçu de notre maître de nombreux enseignements, très profonds, mais si nous ne les mettons pas en pratique, nous faisons comme avec ce cheval.

Quel est le mûrissement, quel est le fruit de la pratique ? C’est de ressentir un grand bienfait dans notre esprit. Actuellement nous ne pouvons pas contenir beaucoup de choses dans notre esprit ; nous n’en sommes pour l’instant pas capables. Nous n’arrivons pas à rendre propre l’intérieur de nous-mêmes, l’intérieur de notre esprit. C’est comme dans Paris il y a de belles choses, de beaux magasins, des gens propres et bien habillés qui sentent bon, extérieurement tout est bien ; mais intérieurement, il n’y a aucune joie dans l’esprit de ces gens.

Tous les ornements du monde ne procurent pas le bonheur à notre esprit ; il serait bien que tout le développement matériel soit capable de cela, mais ce n’est pas le cas. Ainsi, celui qui abandonnerait les dix actes non-vertueux et qui harmoniserait ses activités mondaines avec celles du Dharma, serait intérieurement parfaitement pur.

Les dix actes non-vertueux sont : tuer, voler, avoir une conduite sexuelle incorrecte, mentir, créer la discorde, bavarder futilement, proférer des mots blessants, être malveillant, créer de la nuisance et avoir des vues erronées.

Celui qui ne commet pas ces actes est doté de mérites, les autres l’apprécient, il est en harmonie avec les autres ; et inversement, pour ce qui concerne celui qui ne pratique pas la vertu.

Protéger la vie, ou ne pas tuer

Nous ne pratiquons pas cette vertu, car pour la pratiquer vraiment il faut aussi transmettre, en parlant avec d’autres personnes, le fait de ne pas tuer. Si nous avons toujours présent à l’esprit la pensée de protéger la vie, nous pouvons la transmettre à autrui. Cela comprend aussi ne pas manger de viande, c’est encore protéger la vie. Je suis mal placé pour vous dire cela car j’en mange moi-même, mais je me réjouis de ceux qui n’en mangent pas, et petit à petit j’espère que je ferai de même. Depuis tout petit, j’ai eu l’habitude de manger de la viande donc c’est une habitude forte ; pour moi manger, c’est manger de la viande.
- Vous pensez peut-être : " C’est un Rinpoché, donc il peut manger de la viande". Non ! c’est quelque chose que je dois abandonner, que nous devons tous abandonner, vous comme moi.

Certains pour des raisons de santé en mangent. Tout dépend de la motivation. Ce qui importe c’est de penser que l’on va être bénéfique aux autres êtres. Le moyen est de développer de la compassion pour l’animal qui a été tué, de penser à la douleur qu’il a ressentie et de la comparer à la douleur qu’on éprouve déjà quand on nous pique avec une aiguille.

Prendre ce qui ne nous est pas donné, ou voler

Si on nous donne quelque chose cela va, mais si on prend l’objet sans rien dire, c’est un vol. Nous le faisons souvent, par exemple prendre le métro sans ticket, c’est un vol. Bien sûr, il y a plusieurs niveaux dans le vol, mais il faut avoir la pensée de se protéger de cette non-vertu, de cet acte négatif.

L’inconduite sexuelle

Tandis qu’on est déjà avec un homme ou une femme, aller avec une autre personne relève d’une conduite incorrecte.

Mentir

Il faut abandonner l’acte de mentir, il faut dire la vérité. Là encore il y a différents cas de figure car devant certaines personnes, nous ne pouvons pas dire la vérité abruptement, cela risquerait de les mettre en colère, donc il faut trouver des moyens pour le dire avec des paroles douces. Quelle est alors la pensée que nous devons protéger ? Nous devons bannir tout ce qui pourrait apporter colère, malaise ou nuisance dans l’esprit de la personne. Au contraire, certains êtres aiment apporter des difficultés à autrui, il faut leur rendre les choses ardues et pour abandonner ce type de nuisance il faut le rappel.

Créer la discorde

Je vais prendre un exemple : si je parle de Jean-Paul à quelqu’un et qu’une tierce personne qui m’a entendu va lui redire mes propos, sans les lui rapporter exactement, elle va créer la discorde entre lui et moi. Si cette tierce personne détourne le sens de mes propos en les rapportant, la faute est encore plus grave.

Créer la discorde n’est pas de ne pas dire exactement les propos qu’on a entendus, mais c’est le simple fait de nous interposer. C’est-à-dire que, même si nous les rapportons exactement, comme ce ne sont pas des propos sortis de notre propre bouche, nous créons la discorde. C’est le fait de trouver un autre moyen pour redire les propos entendus car ça nous gêne de redire les mots exacts. Comprendre quelque chose mais ne pas le dire exactement, c’est créer la discorde.

Abandonner les paroles dures

Avoir des paroles douces pour abandonner cette manière dure de s’exprimer. Ce qui importe de voir ici, c’est que tout cela est fait pour ne pas créer la confusion ou le conflit avec les autres. Par exemple, si quelqu’un est bien tranquille et qu’on vient lui dire des choses qui vont le troubler, d’une manière certaine, c’est une faute. Tenir des propos doux évite de créer ce genre de conflit.

Le bavardage futile

Parler sans qu’il y ait de sens véritable à nos paroles. Par exemple quand quelqu’un médite, ou récite des mantras, si nous venons à ses côtés et si nous tenons des propos dénués de sens véritable, nous lui faisons perdre du temps et c’est une faute. Peut-être que ce défaut est difficile à voir. Il faut pour cela s’examiner. Quand on est en présence de plusieurs personnes, en se tenant à l’écart quelques instants sans parler et en voyant si la discussion continue ou pas, on se rendra compte si c’est nous qui prenons beaucoup la parole ou pas. Par la vigilance, nous réussirons en public à moins parler, à nous arrêter de parler. Quand nous bavardons, souvent ce que nous disons n’a pas de sens, ou peut apporter un certain mal être, à soi-même ou aux autres. Donc, abandonner ce bavardage futile est une grande vertu.

La convoitise

C’est vouloir tout ce que les autres possèdent, que ce soit maison, richesses, objets. Dès l’instant où nous n’avons pas fait en sorte d’obtenir un objet alors que l’autre a fait ce qu’il fallait pour, et que nous le voulons, c’est de la convoitise, il faut abandonner cet état d’esprit. Cela concerne aussi l’attachement pour les richesses de nos parents, le fait de penser à leur héritage ; le fait de penser qu’on va recevoir de l’argent de leur part ou de la part de proches, sans travailler. On risque ainsi de développer des conflits avec d’autres êtres. Si on convoite l’objet d’un autre, il y a le danger de tomber dans une grande saisie.

L’esprit de malveillance

La pensée même de nuire à autrui est déjà une faute, et passer à l’acte est encore une plus grande faute.

À partir du moment où nous n’accomplissons aucun de ces actes non vertueux nous détenons la vue parfaitement pure, et grâce à cela nous ne sommes pas dans les vues erronées.

Ces dix non-vertus sont les fondements mêmes des engagements que nous devons protéger. Sur la base qu’ils constituent, d’autres samayas devront être développés. Abandonner les actes non vertueux dépend uniquement de notre esprit. Ils sont la racine même de toutes nos émotions perturbatrices, d’où la nécessité de les abandonner.
- Milarépa a dit : " Nous pouvons réaliser la vue en examinant notre esprit. Mais si nous mettons de côté l’examen de notre esprit pour chercher la vue à l’extérieur de nous-mêmes dans l’espace en face de nous, en ouvrant grand les yeux, c’est comme allumer une lampe en plein soleil ". Comme le soleil irradie sa propre lumière, à quoi cela sert-il d’allumer une lampe ?

En examinant continuellement notre esprit, et de plus en plus subtilement, nous pourrons reconnaître nos propres non-vertus, qui seront aussi de plus en plus subtiles. Ainsi nous deviendrons un être bon, un être excellent, cet examen nous sera bénéfique. Nous pensons que nous sommes obligés de produire ces non-vertus, mais non, elles apparaissent spontanément. Par exemple, nous ne croyons bavarder qu’en étant en public, mais il n’en est rien car en étant seul, nous bavardons tout aussi bien dans notre esprit, nous nous posons des questions, nous y répondons et nous pouvons entretenir ainsi beaucoup de bavardages. Si nous reconnaissons ce bavardage en restant détendu et sans aucune saisie, ce bavardage disparaîtra et nous serons dans la vue parfaitement pure.

C’est grâce à une reconnaissance de plus en plus subtile que nous abandonnerons nos non-vertus. Nous pouvons parler aussi de la confession de ces non-vertus, c’est-à-dire que nous les regrettons.

L’inconduite sexuelle en particulier présente un danger : c’est celui de se dire : "Je suis un pratiquant du Vajrayana, j’ai donc besoin d’une femme, mais cette femme a un mari. Peu importe, j’ai besoin d’elle donc je vais avec elle". Cela comporte un grand danger. Nous autres et même certains érudits, comprenons mal les paroles du Bouddha et pensons que nous avons besoin d’une femme, là nous endommageons les paroles du Bouddha.

C’est par l’attention et la vigilance exercées continuellement que nous pouvons abandonner les actes non-vertueux, sinon nous sommes pareils à un cadavre et nous ne pouvons pas nous rendre purs. Au départ il est important de les reconnaître et, dans cette reconnaissance, il faut rester détendu, sans saisie. Ainsi l’émotion qui en découle va se libérer d’elle-même. Sans cette reconnaissance, peu importent le nombre d’heures que nous passons assis bien droits, car là nous sommes semblables à un morceau de bois. Pour celui qui reconnaît ses émotions perturbatrices, il est dit que l’émotion disparaît d’elle-même, de là où elle se trouve, qu’elle se libère d’elle-même. Les émotions sont semblables à un tourbillon, si nous en avons la reconnaissance, en étant détendu, ce tourbillon va disparaître, et tout deviendra paisible. Ce tourbillon cessera naturellement. C’est un état d’absorption méditative.

- Chiwala a dit : « si nous ajoutons de l’eau froide à une soupe qui bout, le bouillonnement cesse ». De la même manière, si en étant détendus nous regardons nos émotions, elles vont s’apaiser naturellement.

Dans la pratique Dzogchen il y a l’observateur (celui qui est vigilant). Comment pouvons-nous le faire disparaître ? Du fait que nous avons beaucoup d’émotions perturbatrices, nous devons, dans un premier temps, les dissiper en utilisant l’observateur. Puis lorsqu’il n’y a plus d’émotions, il est beaucoup plus facile de faire disparaître l’observateur.
Celui qui abandonne ces dix actes non-vertueux est un être bon, un être beau, cet être peut suivre le chemin d’un bodhisattva, le chemin du Vajrayana, car la graine qu’il plante est une bonne graine.

Questions/Réponses

 Q : Rinpoché a dit qu’on ne pouvait contenir beaucoup de choses dans son esprit. Qu’est ce que cela signifie ?
- R : Dans le futur nous pourrons contenir dans notre esprit ces dix vertus, mais actuellement nous n’avons en nous que les dix actes non-vertueux, donc il n’y a pas la place pour les actes vertueux ni pour toutes les qualités de notre esprit.

 Q : Les émotions perturbatrices vont-elles se libérer autant de fois qu’on ne les a pas reconnues, autant de fois qu’on les a enfouies, ou bien une fois qu’on a saisi le fonctionnement, on se laissera moins aller dans le tourbillon ?
- R : Au départ, nous devons reconnaître notre pensée, voir si elle est correcte ou pas, et par cette vigilance, nous nous trouverons dans la détente et la non-saisie de cette reconnaissance. Alors la pensée disparaîtra d’elle-même, elle se libérera d’elle-même. Par exemple si quelqu’un nous dit des mots blessants, nous ne serons pas bien, des pensées viendront à cause de ces paroles. Et quand nous y repenserons quelques jours plus tard, le malaise ne sera plus là, mais il subsistera quelque chose, même après que le malaise soit passé. Par contre, si nous reconnaissons la pensée dès le départ, elle se libèrera d’elle-même. Actuellement nous ne pouvons pas réaliser cela, mais si la colère apparaît, il faut la reconnaître et rester détendu et l’examiner « d’où vient-elle, où demeure-t-elle, et où va-t-elle ? ». Si nous reconnaissons sa non-existence intrinsèque, elle se libérera d’elle-même.
Pratiquer signifie : « examiner chaque émotion de cette manière » et petit à petit nous aurons la compréhension de ce que je dis. Si nous écoutons sans pratiquer, nous n’aurons pas cette reconnaissance.
Milarépa a dit : « chacun peut décocher une flèche, mais que pour qu’elle atteigne sa cible il faut la dévotion » : sans pratique, quoi que je puisse vous dire, vous ne pourrez pas l’entendre, ni l’accepter, ni le comprendre.

Ce que j’ai dit est clair, actuellement nous pratiquons les dix actes non-vertueux, donc reconnaître cela et rester détendu dans cette reconnaissance, apportera de la joie dans notre esprit et ce sera très bénéfique d’avoir eue cette reconnaissance.

La clarté dans le Dzogchen, c’est de reconnaître les émotions, et ce d’une manière de plus en plus subtile. L’état de Bouddha est un état où toutes les émotions, sans absolument aucune exception, sont purifiées et où la sagesse est épanouie, cela est dû à cette reconnaissance de toutes les pensées discursives. Si, à l’inverse, nous restons là en nous disant : « je suis dans la clarté », nous tombons dans la vue des Böns, nous sommes dans la pensée discursive de la clarté ; nous saisissons cette clarté. Guru Rinpoché et Longchen Rabjampa ont dit que le défaut de la vue des Böns était de demeurer dans cette saisie de la clarté. Ils ne reconnaissent pas qu’ils saisissent la pensée de la clarté. Entre Bön et Dzogchen, les mots sont les mêmes, mais toute la différence réside dans cette petite phrase.